16 mai 2007

État fusionnel

Si quelqu’un m’avait dit, il y a 20 ans, quand je sautais de rocher en rocher pour traquer les grosses truites du Verdon, qu’il me serait un jour possible d’aimer « encore plus » la pêche, je lui aurais ri au nez. J’en étais arrivé à un degré de passion fanatique qui me semblait insurpassable. Et pourtant...


J’ai fait à l’époque des trucs fous, comme me lever tous les jours à trois heures pour aller faire le coup du matin à 80 km, et revenir pour embaucher à 8 heures. Je prenais alors dans "Les Gorges", en moyenne, une truite de trois kilos toutes les trois sorties. Le secret était dans l’assiduité, et rien d’autre. Pas de ruse ni de finesse, il fallait juste y être au bon moment, et donc y être souvent.

L’assiduité est incontestablement le seul et véritable secret de la réussite à la pêche, avec peut-être la curiosité.
Une vérité parfaitement résumée l’an dernier par Gaël Even -lors d’une soirée entre pêcheurs à l’issue du concours de Temple sur Lot - par une formule lapidaire : « Le problème c’est que nous n’avons pas les réponses à nos questions parce que, tous autant que nous sommes autour de cette table, nous ne pêchons pas assez ».
Quand on connaît Gaël et son mode de vie, que l’on sait qu’il venait d’enchaîner quatorze jours de pêche consécutifs, et qu’il y avait à la table des gens à 200% dans la pêche comme Étienne Picquel, Frédéric Jullian ou moi, on mesure l’intransigeance du propos. Surtout si l’on se réfère à la tendance actuelle, si mortellement ennuyeuse, à vouloir introduire du « raisonnable » là où il n’a que faire.
Et pourtant rien n’est plus vrai : pour pêcher « assez », il faudrait y être 24 h sur 24, 7 jours sur 7.

Pendant très longtemps j’ai considéré ma passion comme une drogue, à cause de ce côté addictif que connaissent tous les mordus : plus on pêche et plus on a envie de pêcher, exactement comme le junkie qui a besoin de sa dose pour se sentir bien, et sacrifie tout pour l’obtenir.

Avec l’âge j’ai fini par réviser cette position qui suppose une relation de victime à bourreau et surtout introduit une notion d’autodestruction qui n’est pas du tout présente dans cette affaire. La pêche est au contraire une passion qui permet de se construire. On apprend et on évolue, pas seulement dans son art mais aussi dans sa personnalité

Aujourd’hui je vais moins à la pêche qu’il y a 20 ans, et pourtant je l’aime davantage, et surtout mieux.
Je ne la compare plus à une drogue mais à une relation amoureuse. Au départ (les 20 ou 30 premières années) elle commence par ce que les psys appellent la période fusionnelle au cours de laquelle on cherche à se rassasier de l’autre, en état de manque perpétuel. Au fil du temps cette étape évolue vers une relation plus sereine, moins centrée sur la satisfaction d’un plaisir immédiat, l’assouvissement d’un manque, plus ouverte sur l’extérieur.

La passion, cette main de fer qui nous pousse à vouloir dépasser sans cesse nos limite, est toujours là, mais se traduit moins par une boulimie de pêche et de captures que par le besoin d’embrasser les moindres recoins de la planète pêche. Voyager, tisser des relations avec d’autres passionnés, découvrir de nouvelles techniques, de nouveaux endroits. Comprendre les rouages de ce petit monde, tenter d’agir pour l’améliorer et, en résumé, viser à une compréhension globale de ce que jusqu’alors on n’appréhendait que par bribes.

Rien à voir avec une quelconque forme de sagesse (qui est à l’opposé de la passion), mais simplement la confirmation que la pêche peut remplir une existence de bien des façons.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Superbe article, tellement vrai.

Phil Gaury 44 a dit…

merci d'être arrivé à mettre des mots sur ce qui m'arrive..!!